L’Anguille, une ressource piscicole convoitée au détriment de la pêche de loisir
- Lancelot Chevalier

- 19 nov.
- 4 min de lecture
Depuis le début des années 1980, les stocks d’anguilles sont en chute libre partout en Europe. L’indice de recrutement des civelles a été divisé par dix, au point que certains scientifiques s’interrogent sur la réversibilité de la situation. L’État français soumet actuellement à la consultation du public (du 3 au 27 octobre 2025) un projet de décret visant à interdire la pêche de loisir de l’anguille jaune en eau douce à compter du 1er janvier 2026, et ce pour une durée de cinq ans.

Grande voyageuse tout au long de sa vie
Présente depuis plus de 35 millions d’années, cette espèce « parapluie » fascine autant qu’elle interroge. La reproduction de l’anguille est restée un mystère jusqu’aux années 1920, lorsque Johannes Schmidt démontre le lien entre les larves leptocéphales de la mer des Sargasses et les anguilles vivant sur le continent.Le cycle de vie de l’anguille est exceptionnel : environ 5 ans pour les mâles, et plus de 20 ans pour certaines femelles. De nombreuses zones d’ombre subsistent encore, notamment concernant ses phases marines.

On a longtemps pris les larves leptocéphales pour une espèce différente. Transparentes, mesurant près de 5 cm, elles présentent un corps latéralement aplati en forme de feuille de saule. Cette morphologie leur permet de profiter des courants marins, notamment du Gulf Stream, où elles se nourrissent de plancton durant leur traversée vers l’Europe.La larve se métamorphose ensuite pour prendre la forme caractéristique de l’anguille, tout en restant transparente : c’est la civelle. D’avril à novembre, elle poursuit sa migration en eau douce (la montaison) et se pigmente progressivement pour devenir l’anguille jaune.
C’est le stade le mieux connu. Durant cette phase — la plus longue du cycle, entre 3 et 18 ans — l’anguille devient sédentaire, adopte un régime de prédateur et accumule des réserves énergétiques.La maturité sexuelle déclenche une dernière métamorphose : l’anguille devient argentée. Son ventre prend une teinte blanc nacré, ses flancs deviennent argentés, sa tête s’affine et ses yeux grossissent pour s’adapter à l’obscurité des profondeurs. Elle entame alors sa migration de reproduction, se laissant porter par les crues automnales pour rejoindre la mer.Le voyage vers la mer des Sargasses couvre près de 6 000 km, après quoi l’anguille se reproduit et donne naissance à la prochaine génération.
98 % de la population disparue
Les causes de cette dégringolade sont multiples : surpêche, barrages faisant obstacle à la migration, destruction des habitats, pollution aux pesticides, introduction de pathogènes (comme le parasite Anguillicola crassus), modification du Gulf Stream, etc.Toutes ces mortalités interviennent avant la reproduction, réduisant drastiquement le nombre de géniteurs.

Face à cet effondrement, l’Union européenne a adopté le règlement (UE) n° 1100/2007 du 18 septembre 2007 instaurant des mesures de reconstitution des stocks d’anguilles européennes. Des restrictions supplémentaires ont été intégrées aux règlements annuels dérivés de la politique commune de la pêche (UE n° 1380/2013).En France, la pêche de loisir des civelles et des anguilles argentées est interdite — en eau douce comme en mer — depuis le décret n° 2010-1110 du 22 septembre 2010.
Les règlements (UE) 2023/194 du 30 janvier 2023 et (UE) 2024/259 du 10 janvier 2024 ont ensuite interdit la pêche de loisir de l’anguille jaune en mer ainsi que dans les eaux douces des bassins méditerranéens.Partout en France, sauf dans les bassins Rhône-Méditerranée et Corse, la pêche de loisir de l’anguille jaune restait donc encore autorisée en eau douce.Le ministère de la Transition écologique a mis en consultation trois projets de textes jusqu’au 27 octobre 2025, incluant un moratoire sur la pêche de loisir de l’anguille jaune en eau douce à partir du 1er janvier 2026.

Une ressource convoitée L’anguille intéresse aussi bien les pêcheurs professionnels — en eau douce comme en mer — que les pêcheurs de loisir.Depuis de nombreuses années, la FNPF et les fédérations départementales militent pour un moratoire de cinq ans interdisant toutes les pêches d’anguilles, amateurs comme professionnelles, afin de protéger l’espèce.
Pourtant, tandis que le premier texte actuellement en consultation concerne uniquement la pêche de loisir, les deux autres projets d’arrêté concernent, eux, la pêche professionnelle.Le premier fixe les quotas de la pêche maritime professionnelle pour les campagnes 2025-2026 et 2026-2027, ainsi que leur répartition.Le second fixe les quotas de civelles en eau douce pour les pêcheurs professionnels.
Pour la saison 2025-2026, le projet prévoit :
· 22 tonnes destinées à la consommation,
· 33 tonnes destinées au repeuplement,soit 55 tonnes au total, en baisse de 15,38 % par rapport à la saison précédente.
La répartition est la suivante : 87 % pour les marins-pêcheurs, 13 % pour les pêcheurs d’eau douce.Ces chiffres suscitent la colère de la FNPF, qui dénonce le sacrifice de la pêche de loisir « pour feindre de sauver l’anguille ». Elle conteste notamment l’estimation ministérielle de 700 tonnes d’anguilles jaunes prélevées chaque année par les pêcheurs de loisir et critique des quotas jugés « excessivement élevés » pour la pêche professionnelle.
Pour remédier à la situation « alarmante » dans laquelle se trouve l’espèce, la fédération demande :
· un moratoire sur toutes les pêches et à tous les stades de vie de l’anguille,
· un plan de sortie de flotte ambitieux pour les pêcheurs professionnels,
· le renforcement de la lutte contre le braconnage,
· la restauration écologique des cours d’eau.
Projet de décret portant moratoire sur la pêche de loisir en eau douce de l’anguille d’Europe : https://www.consultations-publiques.developpement-durable.gouv.fr/projet-de-decret-portant-moratoire-sur-la-peche-de-a3258.html
Fichier du projet moratoire sur l'anguille concernant les pêcheurs de loisir à télécharger ci-dessous :


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