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La carpe dans la héraldique

Dernière mise à jour : il y a 18 heures

Lors de mes recherches j'ai trouvé des armoiries décorées de poissons. Je me suis donc intéressé à la héraldique, pensant que c’était une discipline pouvant également témoigner de l'histoire. De fil en aiguille, j’ai trouvé quelques carpes au milieu de bien d’autres poissons, ce qui effectivement a conforté ma vision sur la répartition des espèces ici ou là, au moyen-âge.


Source Domaine public
Source Domaine public

Dans « heraldry of fish » (Thomas Moule, 1842) on retrouve tout un bestiaire aquatique, mais pas d'exemple ancien de carpe sur les armoiries anglaises, pourtant parmi les plus anciennes avec celles françaises (XIe siècle environ). En creux cela corrobore le fait que la carpe n’était pas encore présente outre manche au début du moyen âge. En France je n’ai pas trouvé plus d’armoiries affichant des carpes (peut-être n’ai-je pas cherché où il fallait), si ce n’est le descriptif des armoiries De Blocg, de gueules (rouge) de trois carpes l’une sur l’autre d'argent (IV) dans l'ouvrage de Pierre Palliot (1660, p 547 et suivantes) voir ici



En fait j’avais déjà trouvé en creusant la piste de la carpe en Pologne celle de la famille Korczborg dans l' Insignia seu clenodia Regis et Regni Poloniae. En 1466 l’historien polonais Jan Długosz (1415-1480) y décrivait les armoiries familiales de chevaliers combattant dans la bataille de Grunwald dont celles de la famille « Corczbog, que tres pisces, qui carpones vocantur, unum super alterum locatum, defert in campo rubeo. » (Corczbog, qui porte trois poissons, qu'on appelle carpes, placés l'un au-dessus de l'autre, sur un champ rouge). Etait-ce la famille De Blocg que citera ensuite Pierre Palliot ? Toujours est-il que cette histoire d’armoiries et de chevaliers (je n'ai pas osé de carpes et d'épées) attisait ma curiosité.


Ecu de Jan Korczbok d’après Jean Lefèvre de Saint-Rémy (1395 -1468), Roi d'Armes de la Toison d'Or à la cour du Duc de Bourgogne.. Source Domaine public.
Ecu de Jan Korczbok d’après Jean Lefèvre de Saint-Rémy (1395 -1468), Roi d'Armes de la Toison d'Or à la cour du Duc de Bourgogne.. Source Domaine public.

C’est donc vers la fin du XII siècle puis au XIIIe que la plupart des familles nobles ont elles aussi adopté des armoiries et une même figure héraldique (ici trois carpes) pour montrer qu’elles descendaient d’un ancêtre commun. Les noms de famille n'existaient pas encore à l'époque, les seigneurs prenaient le nom du domaine (et changeaient de noms lorsqu'ils changeaient de domaine), avec des orthographes qui pouvaient varier selon les langues, ce qui constitue une réelle difficulté. Une autre, c’est que les maisons ont fait usage des armoiries dans un groupe familial que chaque branche a conservée et/ou modifiée.


Ainsi les Korczbok (Corzybog/Korczibog/Kurzback) sont une ancienne lignée germano-silésienne qui a des ancêtres communs avec la famille Seidlitz (von Seydlitz, Seidlitz ou Zeidlitz) qui serait originaire des bords du Rhin (Thuringe) et partagent -en négatif de couleurs - les mêmes armoiries (Johanne Sinapio / Curiosités silésiennes première présentation. ... / Leipzig 1720 (38))


Source Domaine public
Source Domaine public

Une branche de la famille s’installa en Silésie au XIIIe siècle, dans la principauté de Wrocław et de Schweidnitz. Depuis la Silésie, la famille s'est ensuite répandue en Bohême, en Pologne en Haute-Lusace et en Brandebourg.


J’ai trouvé que Jan et Dam de Seidlitz avaient participé au quinzième tournoi impérial, qui a eu lieu à Ratisbonne sous le règne de l’empereur Rodolphe Ier en 1284. Je ne me suis pas attaché au résultat considérant qu'une telle participation était déjà plus que glorieuse au sens où il fallait prouver l’ancienneté de ses armoiries et être l'égal des autres vieilles familles dans sa noblesse pour concourir.


Au cours de la première moitié du XIVe siècle, la famille Seidlitz de Lažany (Laasan), puis la famille Bechinie de Lažany, la famille Seidlitz de Schönfeld, la famille Kurzbach de Milíč et Trachenberg se sont progressivement séparés de la maison Seidlitz d’origine.


En 1317, Günzel Seidlitz de Lažany (Gunczelin Seydlitz von Lazan) fut burgrave à Klitzdorff et vécut à la cour de Charles IV, comte de Luxembourg, roi de Bohême et empereur du Saint Empire Germanique. Son fils Kunzel était au service du roi Venceslas IV. Le fils de Kunzel, Jindřich Lefl de Lažany, s’installa en Bohême. Il était l’un des favoris du roi Venceslas IV et devint son confident. Il fut le plus grand chambellan et pendant de nombreuses années le gouverneur de la principauté de Wrocław (Basse-Silésie en Pologne). 

En 1413 il achetât le château de Náchod qu’il échangea contre celui de Bechyně (Bohême-du-Sud, en République tchèque) où il établit sa résidence avant de devenir burgrave à Cracovie. Après leur installation à Bechyně, toute la famille adopta le nom de Bechyně de Lažany (Bechinies de Lažany). Après avoir été promus au statut aristocratique, deux porteurs de boucliers ont été ajoutés aux armoiries de la famille Bechyně de Lažany (emblème argenté avec trois carpes rouges).


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Les trois carpes ont ainsi été utilisées par plusieurs dizaines de familles au fil du temps (j'en ai compté une trentaine), dont les Hodějovský de Hodějov (village de bohème du sud). Leur ancêtre Hněvek apparaît comme un serviteur des seigneurs de Rožemberk (voir ici) et responsable de l’église de Čestice en 1378-1400. Ces armoiries comportent une carpe dorée sur un bouclier bleu ; une carpe est également présente sur le cimier. Elles différaient de celles des échevins de Čestice, qui eux avaient une carpe argentée.



Légende : Gravure héraldique – Encyclopédie de Jan Otto (1888-1909). Source Domaine public
Légende : Gravure héraldique – Encyclopédie de Jan Otto (1888-1909). Source Domaine public

On retrouve la carpe sur le cimier des Karpfen (Sibmacher’s Wappenbuch, Armoiries souabes, p120) : "D'azur (bleu) à deux carpes adossées d'argent, sont les armes de la famille de Karpfen de Souabe, conformément à la manière picturale dont les noms de famille étaient représentés dans leurs armoiries. Karpfen porte pour cimier, sur une couronne d'or, à dextre une carpe d'argent, à sen. une demi-ramure de cerf d'azur "


D'azur à deux carpes adossées d'argent, sont les armes de la famille de Karpfen de Souabe, conformément à la manière picturale dont les noms de famille étaient représentés dans leurs armoiries. Karpfen porte pour cimier, sur une couronne d'or, à dextre une carpe d'argent, à sen. une demi-ramure de cerf d'azur. Source domaine public
D'azur à deux carpes adossées d'argent, sont les armes de la famille de Karpfen de Souabe, conformément à la manière picturale dont les noms de famille étaient représentés dans leurs armoiries. Karpfen porte pour cimier, sur une couronne d'or, à dextre une carpe d'argent, à sen. une demi-ramure de cerf d'azur. Source domaine public

Comme évoqué, l'évolution des armoiries est liée à l'histoire des familles. Au début du XIIIe siècle, une famille dont les armoiries représentaient un ou plusieurs bois de cerf et dont les possessions s'étendaient en dessous de Wroclaw sur l'Oder jusqu'au confluent de la Weistritz, s'est éteinte (pas de garçon). Les filles de la maison apportèrent un riche héritage en même temps qu’un bois de cerf dans les armoiries de différentes branches de familles apparentées. Ainsi, les Tchammer Luck Wentzky portaient une ramure de cerf et une corne de buffle, les Salisch une aile d'aigle et un bois de cerf, les Radak a. d. H. Lasan Schönfeld Buchwald un poisson et un bois de cerf dans leurs armoiries.


L'ancêtre de la famille Radak, le chevalier Radak dont les armoiries semblent donc avoir été le poisson, est mentionné dans plusieurs documents pour avoir échangé son domaine Ozerowitz (Oderwitz) contre Chinino (probablement Oderwitz Schildern / cf. Knie). Ozero pourrait provenir du mot polonais jeziro = lac ; mais ici il est traduit par Oder... Peut-être Ozero était-il une forme plus ancienne du mot ; en russe, Ozero signifie aussi aujourd'hui « lac ».


Le nom Karpfen viendrait de Poméranie (région à cheval sur l'estuaire de l'Oder). Parmi les porteurs du nom mentionnés pour la première fois dans les chroniques anciennes figurent un « Karpe von Rostock » (vers 1257) et le chevalier Emecho Karpe, né en 1270 à Mayence. Le nom s'est imposé au fur et à mesure que de nombreuses branches de la famille fondaient des maisons séparées et acquéraient des domaines dans différentes régions, élevant leur statut social.


Pour conclure cet aparté sur la héraldique, ont retrouve une répartition géographique (y compris dans les blasons des villes aujourd'hui) qui corrobore la présence de la carpe en Europe centrale aux XII et XIIIe et quelque part de son importance pour certaines familles (même si je n'ai pas su faire le lien).

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